Depuis les dernières élections présidentielles les craintes du monde financier français – stigmatisé comme « le principal ennemi » de la France par le candidat Hollande devenu Président – n’ont fait que s’accentuer. La pression fiscale, réglementaire et politique est devenue telle que les mouvements d’équipes et de sociétés financières à l’étranger commencent à prendre forme, en coulisses.
Délocalisation partielle ou totale ?
Rares sont les dirigeants à s’exprimer publiquement sur ce sujet. Dominique Ceolin, président d’ABC Arbitrage, un hedge funds parisien, a brisé un tabou hier lors de la présentation des comptes 2012 en déclarant : «Notre typologie de gestion n’est pas la bienvenue en France. C’est pourquoi nous envisageons de protéger notre activité par une délocalisation partielle ou totale», a-t-il indiqué hier à l’occasion de la présentation des comptes 2012, et cité par L’Agefi.
D’autres ont déjà franchi le pas, à l’instar de Carmignac. La société de gestion française a demandé début 2013 une extension d’agrément à Luxembourg au statut de société de gestion pour y renforcer sa présence et potentiellement transférer une partie de ses équipes parisiennes. Deux de ses dirigeants Eric Le Coz, directeur général adjoint, et David Fregonese, directeur des ventes Europe exercent désormais depuis le Grand-Duché.
De son côté, Nicolas Chanut, l’un des fondateurs et patron du broker français Exane, avait officialisé son déménagement à Londres en octobre dernier, au côté de son directeur en charge de l’activité intermédiation actions Vincent Rouvière. Nicolas Chanut avait alors démenti que la nouvelle pression fiscale était à l’origine des départs, préférant mettre en avant les projets de développement et de recrutements opportunistes dans la City.
Envie de rester à Paris mais…
Olivier Dauchez, avocat associé au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel, spécialiste des questions fiscales, constate « une défiance générale face au niveau d’imposition. Beaucoup de personnes, y compris des financiers, sont partis et beaucoup d’investisseurs étrangers ont renoncé à la France ».
Un gérant de société parisien, qui a requis l’anonymat, nous confie que « beaucoup de sociétés de gestion voient leur développement à l’étranger. Dans ce contexte, il est aussi de plus en plus difficile d’attirer des talents à Paris en raison du poids de la fiscalité ».
« Tous les acteurs de l’industrie financière à Paris que nous connaissons réfléchissent à se délocaliser au moins partiellement ou se développer à l’étranger, nous confirme Dominique Ceolin, président d’ABC Arbitrage, qui s’est créé à Paris il y a 17 ans et emploie aujourd’hui 80 personnes. Nous avons envie de rester en France, mais est-ce raisonnable au vu des inquiétudes formulées par nos clients, nos actionnaires et nos collaborateurs ? »
Selon lui, les principales mesures fiscales qui pèsent sur la compétitivité du secteur de la gestion française sont la nouvelle taxe de 3% sur les dividendes versés par les entreprises, la taxe sur les transactions financières – pour l’instant une exception française – et enfin une fiscalité accrue sur les stock-options et les actions de performance à la fois pour les employeurs et pour les employés.
Inquiétude pour l’avenir de la place parisienne
Mais ce n’est pas qu’une question fiscale, insiste Dominique Ceolin. « Sinon nous serions partis il y a longtemps déjà », lance-t-il. « Le climat politique et l’inflation réglementaire croissante nous oblige également à réfléchir à des alternatives pour protéger notre structure de coûts et développer notre rentabilité », explique ce dirigeant qui ne cache pas sa colère et son inquiétude pour l’avenir de la place financière parisienne.
De ce point de vue, la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Luxembourg ou encore la Suisse, pour ne mentionner que le marché européen, facilitent l’installation de société françaises. Pour preuve : les développements de business et les recrutements de Carmignac se font de plus en plus à Londres et à Frankfort, bureaux ouverts en 2012, et bientôt à Zurich et peut-être également à Singapour. Le mois dernier, Carmignac a recruté Mikael Fellbom en tant que Head of Country pour la région nordique, basé pour le moment au Luxembourg.
De même, « le broker français Exane adossé à BNP Paribas est aujourd’hui l’une des sociétés françaises qui est la plus agressive à Londres pour y developper son business et embaucher », nous confie un chasseur parisien, sous couvert d’anonymat.
Les banques parisiennes remplissent l’Eurostar : destination Londres
De là à délocaliser toute leur société, il y a un pas que les dirgigeants français n’osent pas encore franchir. Dans le secteur bancaire, les transferts d’équipes vers Londres sont en revanche devenues monnaie courante, d’après plusieurs recruteurs et observateurs du marché interrogés. Information que ne souhaitent pas commenter ou démentent les banques interrogées.
« Des pans entiers d’activités migrent de Paris vers Londres, notamment les équipes de vente de dérivés chez BNP Paribas. Les mouvements concernent désormais dans les grandes banques françaises aussi les équipes de Conseil (M&A par exemple), où l’on commence à proposer de manière assez pressante aux collaborateurs de s’installer à Londres », nous confie cependant un gérant indépendant, fin connaisseur du marché.
Selon un chasseur cette fois, les professionnels du trading pour compte propre chez BNP Paribas et chez SocGen, qui ont été intégrés aux équipes de flow trading, « se voient proposer d’aller à Londres en échange d’au moins un doublement de leur salaire fixe ». Credit Suisse envisagerait de déplacer son équipe parisienne dédiée au trading propre à Londres sous un an, soit « moins d’une vingtaine de personnes », selon ce recruteur.
Trois raisons motivent ces mouvements, explique-t-il : « être plus prêt du business, une meilleure flexibilité dans la gestion des équipes au regard du droit du travail, et la taxation prochaine des salaires à un million d’euros et au-delà en France ».
