Quasiment inconnu il y a encore deux ans, le phénomène Big Data génère partout des besoins en développeurs et analystes de données. Et le secteur financier semble bien à la peine pour mettre la main sur les talents recherchés.
De fait, les enjeux de formation dépassent aujourd’hui le monde académique et l’on voit se multiplier les initiatives en ce domaine. Certaines émanent de personnalités comme Xavier Niel, le médiatique patron de Free qui a ouvert une école à Paris, mais aussi d’entreprises comme l’éditeur de logiciels SAS spécialiste du traitement des données qui, début avril, a lancé le programme Spring Campus visant à former gratuitement 20 étudiants d’école d’ingénieurs et d’universités en fin de cycle pour devenir des data scientists, la crème de la crème des data miners. Le cursus, composée d’une formation d’un mois suivi d’un stage de 6 mois chez SAS ou une entreprise partenaire, propose notamment une spécialisation fonctionnelle en risk management avec au programme gouvernance risque et conformité, risque financier (banque et assurance), fraude et anti-blanchiment.
« Il est impératif de monter en technicité et de vraiment maîtriser les logiciels d’analyse de données », explique Mohamed Ahdarf qui après avoir décroché un Master Finance à l’Université Paris II Panthéon Assas a décidé de suivre cette formation et d’effectuer un stage d’économiste spécialisé en statistique et en économétrie chez Crédit agricole.
« Car les candidats ont beau aligner sur leur CV des dizaines de langages informatiques, dans la pratique il s’avère que peu d’entre eux les maîtrisent suffisamment, y compris dans les écoles d’ingénieurs parmi les plus prestigieuses », nous confie Grégoire de Lassence, responsable pédagogie et recherche chez SAS Institute, ajoutant que « de nombreuses SSII privilégient désormais la maîtrise des fondamentaux techniques à la notoriété de l’école ».
Même constat chez les recruteurs qui déplorent un manque de compétences techniques chez les candidats alors que les domaines du web et des applications mobiles recherchent, notamment en banque-finance, des développeurs qui maîtrisent parfaitement les codes PHP, .Net, Flash, Java, Flex, C++ ou HTML 5. « On ne trouve pas de bons développeurs, c’est la raison pour laquelle nous réfléchissons à créer une école pour former de bons techniciens du web qui n’auront pas besoin d’être ingénieurs pour maîtriser parfaitement Flash, Flex ou PHP », explique Denis Cerisola, chasseur de têtes pour le cabinet Business Activ spécialisé dans l’informatique, lors d’une récente table ronde sur le sujet.
Un marché pénurique
Les flux de candidats maîtrisant les technologies les plus récentes ne sont pas suffisants pour répondre à la demande. C’est particulièrement vrai pour les développeurs et autres data miners. « Ces tensions jouent en faveur des candidats qui n’hésitent pas à changer de poste et à faire monter les enchères. Mais les compétences recherchées évoluent au même rythme que les technologies, c’est-à-dire très rapidement. Plus encore que dans les autres secteurs, les candidats doivent veiller à se former pour rester au niveau et continuer à valoriser leur expérience », explique Julie Scali, Directrice Senior de Page Personnel Informatique.
Surtout que la demande n’est pas prête de se tarir à en juger le World Retail Banking Report 2013 qui révèle que plus de la moitié des clients des banques de détail envisagent de changer de banque au cours des 6 prochains mois à cause du manque d’offres personnalisés. L’une des solutions à exploiter pour pallier à ce manque étant le Big Data (l’analyse des données émises sur le net par les utilisateurs), cette perspective laisse donc envisager des recrutements à venir de profils experts en Big Data dans les banques, mais aussi dans les hedge funds, en cabinet conseil, dans les SSII et l’assurance.
Salaire et évolution professionnelle
Etre spécialiste de la manipulation, de l’archivage et du stockage de données tout en combinant les compétences d’un programmeur de logiciels et d’un statisticien pour récolter, compiler et analyser des données diverses et complexes n’est en effet pas donné à tout le monde, si bien que ces profils n’ont parfois pas grand chose à envier à certains traders en matière de salaire. Sur le marché, les rémunérations montent facilement de 40 à 100 k€ bruts annuels pour un data miner, et peuvent culminer à 250 k€ pour un data scientist. « Ce sont des profils qui peuvent très bien gagner leur vie. Toutefois, ils ne doivent pas avoir peur de beaucoup travailler car la part de salaire variable est souvent importante », explique Denis Cerisola.
Mais au delà de ces chiffres qui restent des moyennes, le principal frein à l’évolution salariale vient du développeur lui-même, qui semble éprouver des difficultés à passer à l’étape manager, qui suppose mélanger aptitude à la programmation et compétences en direction. Les managers ont véritablement un rôle technique puisqu’ils passent en moyenne au moins 30% de leur temps à coder. D’après certains spécialistes, le malaise viendrait justement de là. Ils expliquent que les développeurs sont avant tout des passionnés, et que pour eux l’accès au grade de “manager” ne les fait pas renoncer à l’exercice de leur passion. « Le nouveau responsable continue de faire partie de sa communauté (et de respecter ses us et coutumes), et souhaite continuer de programmer, ce qui peut créer des conflits avec le reste de l’équipe du service IT », explique Katleen Erna, expert senior chez Développez.com.
Pour sa part, le journaliste Cyrille Frank, a publié un petit guide de survie afin d’apprendre à vivre en harmonie avec… son développeur ! Il est ainsi fortement déconseillé de l’impliquer dans un projet au dernier moment, sous peine de devoir affronter une certaine mauvaise volonté. « Les geeks, qui recherchent pourtant la reconnaissance de la société, même une fois parvenus au poste de leader et ayant acquis un certain pouvoir, ne parviennent pas à se défaire de ce qu’ils sont vraiment », poursuit Katleen Erna. Chassez le naturel…
