C’est le plus grand évènement du secteur des hedge funds en Europe et il se tient chaque printemps à Paris depuis maintenant 10 ans. Les organisateurs britanniques du EuroHedge Summit, qui a rassemblé hier et aujourd’hui plus de 750 professionnels, investisseurs, et prestataires de services au Palais de la Bourse, ont-ils fait une erreur de casting sur la ville hôte ?
Charme et talents parisiens
Avec 2 à 3% du marché européen des hedge funds, selon les études, la France occupe une place à l’ombre dans le monde de la gestion alternative. Paris compte près de 10 fois moins de hedge funds, de professionnels et d’actifs sous gestion que Londres, selon les estimations généralement données par les professionnels du secteur. Même la Suisse, avec 5% des parts de marché en Europe, se place devant la France.
« Paris est un lieu très agréable – surtout à ce moment de l’année – pour faire du networking et organiser des diners après une journée de rencontres et de conférences », indique Neil Wilson, responsable éditorial de Hedge Fund Intelligence, le groupe de presse organisateur du sommet parisien. « Nous célébrons déjà à Londres les EuroHedge Awards, je crois que les professionnels londoniens sont ravis de changer d’air et se retrouver chaque année à Paris », poursuit-il.
Le charme parisien n’est pas la seule motivation des organisateurs. « Un quart environ des participants de cet évènement sont des Français. Et pour cause, on retrouve un nombre significatif de traders, de quants, de gérants français à Londres », précise Neil Wilson.
En 2010, Paul-Henri de la Porte du Theil, président de l’Association française de la gestion financière (AFG), avait estimé qu’un tiers des gérants de hedge funds à Londres étaient français. La même année, la place de Paris s’associait au projet “QuantValley Paris – 2020 Cité des Quants”, regroupant 9 sociétés de gestion. Objectif ? Attirer à Paris les Frenchies expatriés et faire valoir aux investisseurs étrangers le savoir-faire français en matière de gestion quantitative.
Guillaume Rambourg, but who’s next?
Qu’en est-il depuis ? Il y a bien eu l’ancien gérant star de Gartmore, Guillaume Rambourg, qui a quitté Londres pour fonder son fonds Verrazzano Capital à Paris l’an passé. Mais point de raz-de-marée. La crise, l’image dégradée des financiers en général et des fonds “spéculatifs” en particulier, et le tour-de-vis fiscal sont passés par là…
« La collecte n’a pas été à la hauteur des attentes, reconnaît Alain Leclair, président d’Emergence, le premier fonds d’incubation du secteur lancé à Paris l’an dernier. Essayez de parler de hedge funds aux caisses de retraite… La majorité d’en eux restent sur leur garde. Progressivement, la perception de cette gestion décolérée évolue néanmoins favorablement, affirme-t-il, confiant en l’avenir des hedge funds à Paris. Cet ancien président de l’Association française de gestion ne ménage pas ses efforts pour promouvoir les sociétés françaises de gestion innovantes et prometteuses, y compris le mois dernier devant des investisseurs à New-York.
Pour lui, la tendance au développement de l’industrie des hedge funds à Paris est inscrite et les signes opportuns se multiplient : une stérilisation des financements par les banques en raison de Bâle III, un besoin croissant du recours aux marchés pour financer l’économie, une diffusion des savoirs et des techniques de gestion alternative au sein de la gestion traditionnelle…
Au moins une “dizaine de projets” de lancement
L’équipe d’Emergence, qui s’apprête à lancer un deuxième fonds d’incubation, assure avoir vu passer ces derniers mois un nombre croissant de dossiers de jeunes entrepreneurs spécialisés dans les méthodes quantitatives, issus des salles de marchés des banques et souvent soutenus par leur maison d’origine. Ce type de sociétés de gestion innovantes représentent désormais la majorité des 30 à 40 nouvelles sociétés qui voient le jour chaque année à Paris, au détriment des sociétés de gestion patrimoniales notamment.
Bertrand Gibeau, associé du cabinet Reinhold Partners qui accompagne des jeunes sociétés de gestion alternative dans leur installation a fait le même constat. « Il y a une nette accélération depuis 18 mois de projets d’installation. Une dizaine d’équipes ont lancé ou sont en cours de lancement de leur propre hedge funds depuis un an », témoigne ce consultant. Au total, ces projets impliqueraient une quarantaine de professionnels issus de salles de trading de banques françaises réduisant la voilure, et d’importants asset managers parisiens « qui marquent le pas en matière d’innovation ».
Pour Bertrand Gibeau comme pour Alain Leclair, une nouvelle génération de trentenaires et de quadras entrepreneurs est en train d’émerger à Paris. « Des professionnels brillants et très compétents qui ont cependant parfois du mal à s’imposer auprès des investisseurs face à des aînés installés, qui ont prospéré à Paris ces 20 dernières années, et qui ne sont pas encore prêts à partir en retraite ! », relève Bertrand Gibeau.
Freins fiscaux et menace de la TTF
Les autres freins sont d’ordre fiscal ou réglementaire. « Les récentes politiques fiscales françaises ont eu est sans nul doute un effet repoussoir pour les professionnels français basés à Londres et tentés de rentrer à Paris. La place parisienne offre pourtant un environnement de travail agréable et un cadre réglementaire assouplie, finalement assez proche du modèle britannique », commente Neil Wilson.
La menace ultime pour la gestion française est aujourd’hui la future taxe européenne sur les transactions financières (TTF), qui pourrait coûter près de 12.000 emplois dans la gestion, selon l’AFG. « Si elle devait être adoptée en l’état, la TTF signerait l’arrêt de mort de la gestion en France et l’exode des gérants français à Londres », juge Bertrand Gibeau.
« Tant que le cadre réglementaire européen ne sera pas stabilisé, l’industrie des hedge funds en France peinera à prendre son essor », résume Alain Leclair.
Trouver la taille critique
En outre, Paris manquerait de grands leaders dans la gestion alternative couvrant l’ensemble du spectre de la gestion alternative, estime de son côté Pascal Koenig, associé, responsable des activités Asset Management chez Deloitte France. « Les petites structures souffrent particulièrement du climat général d’atonie de la collecte française. Certaines n’ont pas d’autre choix que d’être désormais accolées à des sociétés de gestion traditionnelle, précise-t-il. Les boutiques indépendantes qui existaient dans les années 2000 ont souvent disparu ou ont fait l’objet d’une consolidation, comme l’illustre le cas d’HDF Finance. » Ce pionnier des fonds de hedge funds en France est passé de 3,7 milliards d’euros d’actifs sous gestion en 2007 à moins d’un milliard d’euros fin 2011 avant de s’adosser à Rothschild & Cie Gestion l’an passé, tout comme Heritage AM.
« Résolument optimiste »
En dépit des circonstances, les hedge funds parisiens veulent croire à un bel avenir, revigorés par l’embellie des marchés financiers et l’éloignement du risque de l’explosion de la zone Euro. Lionel Melka, co-fondateur de Bernheim, Dreyfus & Co, créé en Suisse en 2007 puis rapatrié un an plus tard à Paris, se dit « résolument optimiste » pour l’avenir des hedge funds à Paris.« Il y a beaucoup de projets de structures en gestation en ce moment. La nouvelle directive UCITS a redonné de la vigueur au secteur, qui a multiplié les fonds régulés UCITS, assurant ainsi une meilleure collecte », explique-t-il.
Cette société spécialisée dans les stratégies de performance absolue emploie aujourd’hui 7 professionnels et est « appelée à grandir ». Lionel Melka rappelle que les hedge funds sont constitués de petites équipes, au total « 500 personnes environ » à Paris. Mais c’est sans compter les nombreux emplois indirects. Et l’associé de Bernheim, Dreyfus & Co de préciser : « Un gérant fait travailler en moyenne 10 personnes, entre les avocats, les auditeurs, les primes brokers, les valorisateurs… ». Une manne d’emplois que la Place de Paris aimerait voir plus rapidement fructifier…
