S’il y a un observateur qui connaît bien le secteur bancaire, c’est Joris Luyendijk. Entre 2011 et 2013, l’auteur et journaliste néerlandais a interviewé des banquiers pour un blog “d’anthropologie” sur la culture bancaire pour le journal britannique The Guardian. Aujourd’hui, il vient d’écrire un livre sur cette expérience et ses observations sont plus pertinentes que jamais.
« Travailler dans le secteur bancaire a largement à voir avec de la soumission Share on twitter, affirme Luyendijk. Les carrières en front office consistent à entrer dans une bulle dans laquelle vous vous soumettez totalement à votre travail et aux objectifs de l’entreprise. Il n’y a pas de place pour autre chose ».
Luyendijk a interviewé plus de 100 professionnels de la City de Londres, y compris des analystes et des Managing Directors (MD) en corporate finance. Il a parlé à d’anciens banquiers M&A et à des stagiaires. Parmi les personnes rencontrées, rares sont celles qui avaient réellement compris ce qu’impliquait réellement le fait de s’embarquer dans une carrière dans une division de banque d’investissement.
« Tous m’ont confié ne pas avoir compris au départ ce que signifierait travailler 80 heures par semaine. Vous perdez le contrôle de votre vie. Vous travaillez tout le temps et vous ne savez jamais vraiment quand vous pourrez prendre des congés », rapporte l’ex-blogueur.
Isolement social
Conséquence de quoi, ces jeunes banquiers d’investissement finissent progressivement isolés du monde (non financier). Luyendijk explique cette mise à l’écart sociale par le fait que « vous travaillez extrêmement dur jusqu’à vos 30 ans. La pression diminue ensuite légèrement, mais à ce stade vous gagnez déjà tant d’argent qu’un immense fossé s’est formé entre vous et le reste de la société. Du coup, vous finissez par vivre dans votre bulle, dans laquelle votre vie professionnelle et sociale sont entremêlées ».
Dans ce contexte, Luyendijk fait valoir que la forte charge de travail bouleverse la morale et les relations sociales importent surtout dans un but professionnel. « Lorsque les jeunes banquiers m’ont parlé d’éthique, c’était souvent en rapport à l’investissement qu’ils mettaient dans leur travail, explique l’anthropologue. La banque en soi n’a pas de morale – il est ici question d’être plus malin et doué que les autres, dans le cadre de la loi. Les jeunes banquiers à qui je parlais se jugeaient eux-mêmes comme des personnes éthiques et bonnes dans leur travail du seul fait de leur ‘professionnalisme’ et des longues heures passées au bureau ».
Prisonnier d’un style de vie
Plus vous avancez dans votre carrière, et plus il devient nécessaire de se conformer aux attentes du secteur en matière de mode de vie, si vous voulez continuer à progresser. « Les banquiers seniors m’ont expliqué qu’il était important pour eux de projeter leur réussite dans leur style de vie. Ils avaient besoin de prouver leur détermination à aller le plus loin possible professionnellement et cela signifiait qu’ils devaient envoyer leurs enfants dans des écoles privées, habiter les bons quartiers, porter les bon styles de montres de luxe », relève Luyendijk.
Dans un tel contexte, il devient donc de plus en plus difficile de quitter un poste en finance de front office. « Presque tous mes interlocuteurs m’ont dit qu’ils ne feraient ‘pas ça toute leur vie’, témoigne l’auteur. Ils avaient tous en tête un point de sortie, mais comme ils se sont isolés socialement, l’échéance était retardée au fur et à mesure que leur salaire augmentait. Un jour, j’interviewais quelqu’un qui me parlait de quitter le secteur une fois les 100 k£ de salaire par an atteint ; le lendemain, un autre me parlait d’un seuil à 250 k£. C’était à la fois touchant et tragique ».
À peine parti… et déjà de retour
Qu’est ce que ces professionnels souhaitent faire à la place du métier de banquier ? Ils voulaient écrire des scénarios, devenir réalisateur de documentaires, ou romancier. « Ils ne semblaient pas se rendre compte qu’il est aussi difficile de faire publier un livre ou d’écrire un scénario à succès que de progresser professionnellement dans la finance. Vous ne pouvez pas travailler dans le crédit structuré pendant 10 ans puis soudainement écrire un scénario. Les gens passent des années à travailler sur de tels projets ! », s’étonne toujours Luyendijk.
Peu de professionnels de la finance étaient pourtant prêts à accepter cette réalité. « Dans la culture bancaire, il y a cette idée que tout est possible, puisque vous faites partie d'une élite Share on twitter, décode Luyendijk. Quand je leur répondais qu’il était difficile de percer dans les métiers créatifs, ils souriaient poliment comme pour dire ‘pas pour moi’ ».
Luyendijk explique cependant que la quasi-totalité des personnes qui ont quitté la finance finissent par y revenir d'une manière ou d'une autre Share on twitter. « Vous quittez la finance, prenez un peu de temps pour vous, et vous vous rendez compte qu’être un réalisateur de documentaires ne va pas être si facile… Vous ne pourrez pas bénéficier du statut que vous aviez lorsque vous étiez en finance. Et puis, une offre d’emploi en finance se présente. Le genre de job pour lequel vos compétences peuvent être facilement validées, et vous voilà de retour. Mais cette fois, avec les yeux grands ouverts… Les gens disent que l’argent proposé est une opportunité trop bonne pour la laisser passer ».
Et si vous voulez quitter la finance pour de bon ? Allez vous recycler dans l’enseignement supérieur, conseille Luyendijk : « Les reconversions les plus réussies sont des personnes qui sont entrées dans le milieu universitaire ».
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