En théorie, un salaire annuel à 7 chiffres devrait être plus que suffisant pour vivre. Au Royaume-Uni, seul 1% des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu gagne plus de 150.000 livres, selon les chiffres de l’Office National des Statistiques. Aux États-Unis, seul 1% touche plus de 370.000 dollars, d’après le Internal Revenue Service. Et pourtant, certains banquiers soumis à cette tranche supérieure d’imposition rencontrent des problèmes d’argent. « Il n’est vraiment pas rare de croiser des banquiers de Wall Street prêts à se déclarer au bord de la ruine, déclare ainsi Gary Goldstein, co-fondateur du cabinet américain Whitney Partners. Certaines personnes se débattent vraiment ».
Les allégations selon lesquelles les banquiers auraient des problèmes pour joindre les deux bouts ne les rendra pas plus sympathiques aux yeux du grand public. Lors de la dernière Assemblée Générale de Barclays, Joan Woolard, un retraité du nord de l’Angleterre, a reproché à la banque de surpayer ses banquiers, traitant de tous les noms d’oiseaux quiconque veut gagner plus d’un million de livres anglaises (1,2 millions d’euros) par an.
Plusieurs banquiers expliquent néanmoins pourquoi ils on réellement besoin d’être payés au delà de ce montant. « Nombreux sont ceux qui ont un train de vie dispendieux, rappelle Louise Cooper, ancienne vendeuse chez Goldman Sachs et analyste financière chez Cooper City. Ils ne peuvent pas se passer d’une nounou, d’écoles privées pour leurs enfants ni d’une demeure luxueuse. Autant de dépenses qui sont prélevées sur leur revenu imposable. Avec un taux d’imposition supérieur de 45%, cela signifie que vous devez gagner presque le double de ce que vous dépensez », fait-elle remarquer.
Les banquiers américains ne sont pas mieux lotis. « Après impôts, votre million de dollars fondra pour atteindre 600.000 dollars, explique Gary Goldstein. En plus de cela, les banquiers doivent encore rembourser les emprunts en cours, entretenir les maisons de Manhattan et des Hamptons, inscrire leurs trois enfants en école privée coûtant chacune 40.000 dollars, et bien sûr, assumer les dépenses quotidiennes ».
Les banquiers aimeraient peut-être réduire certains de ces coûts en envoyant par exemple leurs enfants à l’école publique ou en ne possédant qu’une seule maison. Malheureusement, cela semble plus facile à dire qu’à faire. « Lorsque vous travaillez dans le secteur bancaire, vous vous retrouvez entouré de gens qui gagnent beaucoup d’argent. Dans votre entourage, tout le monde a une grosse hypothèque et envoie ses enfants dans le privé », note Erika Shapiro qui après avoir été vendeuse fixed income chez Goldman, Citi, Credit Suisse puis UBS s’est reconvertie comme instructrice de yoga.
« Vous êtes contraints à un certain niveau de dépenses, déclare Tony Greenham, ancien banquier d’investissement chez Barclays désormais responsable financier chez New Economics Foundation. Vous appartenez à un groupe social qui aspire à un certain standing et y parvient : habiter tel style de maison dans tel endroit, posséder telle résidence secondaire et offrir telles études à leurs enfants ». Les banquiers subissent ainsi une pression sociale constante pour dépenser et dépenser encore, constate Nell Montgomery, ancien sales trader chez Goldman Sachs devenue psychothérapeute. « Les banquiers entrent dans un processus de pensée qui considère comme normal de débourser 100k£ pour chacune des écoles privées de leurs trois enfants. Certains avouent qu’ils préfèrent payer des cours privés quitte à rogner 10k € sur les vacances. C’est un état d’esprit où des choses anormales sont perçues comme étant la norme », précise-t-elle.
Ironie du sort : pour répondre aux insultes de Joan Woolard lors de l’AG de Barclays, Gary Goldstein précise que les banquiers les mieux payés de chez Barclays sont ceux qui souffrent le plus. « La part des bonus différés est si importante qu’ils ne reçoivent que très peu de cash. Ils vivent sur 300-400 k$ de salaire de base, somme réduite de moitié après impôts », explique-t-il. En début d’année, Barclays a même annoncé le report de 100% de tous les bonus de ses managing directors.
Dans certains cas, la situation est aggravée par les décisions du passé – tant en termes de choix du conjoint que des emprunts contractés. Louise Cooper indique que chez les banquiers aisés, ceux qui rencontrent le plus de problèmes d’argent sont ceux qui ont épousé la femme ‘parfaite’. « Vous avez ces gars qui se présentent au travail avec leur petite amie intello de la fac et puis soudainement, à partir du moment où ils commencent à gagner beaucoup de fric, ils la plaquent pour une femme beaucoup plus sexy et glamour généralement rencontrée sur leur lieu de travail », note t-elle. Sans surprise, Louise Cooper ajoute que ces femmes coûtent cher à entretenir : sacs à main et chaussures de marque, maisons dans les beaux quartiers, écoles huppées pour les enfants, bijoux, nounous et gouvernantes. « A la City, il y a beaucoup d’hommes qui ont la même femme que quand ils étaient pauvres. Mais il y a aussi ceux qui se retrouvent piégés dans des relations de couple où ils sont contraints de gagner beaucoup d’argent », poursuit Louise Cooper.
Les épouses modèles sont autant problématiques à Londres qu’à Wall Street, mais Gary Goldstein indique que les malheurs des banquiers US sont encore aggravés par les folles décisions d’emprunts prises au cours de la période de boom. « Beaucoup de gens ont emprunté sur la base de leurs actions. Quand elles grimpaient de 20 à 30% par an, beaucoup de gens ont emprunté pour acheter un bateau ou une maison dans les Hamptons ». Sauf qu’à présent ces actions ne valent plus grand chose voire même plus rien dans le cas de Lehman ou de Bear Stearns.
Comment apprendre à vivre avec moins
Alors, que pouvez-vous faire si vous êtes un banquier qui a perdu tout sens des réalités financières et ne parvient pas à joindre les deux bouts avec 1 million de livres ? Changer sa façon de voir est le meilleur moyen. « Rappelez-vous comment vous réussissiez à être heureux avec trois fois rien quand vous étiez encore étudiant, indique Oliver James, psychologue clinicien et auteur du livre ‘Affluenza’. Les gens ont tendance à raisonner en terme de besoins de façon illimitée. Mais nos besoins réels sont en fait très terre à terre : vous avez besoin de nourriture, de chauffage et peut-être de lumière, et vous devez vous sentir émotionnellement sécurisé », ajoute-t-il.
Le meilleur antidote à l’excédent de dépenses est de conserver un seul partenaire pour la vie, indique Louise Cooper : cela aide à relativiser. Le cas échéant, essayez de cultiver des amitiés en dehors du secteur bancaire. « J’ai toujours eu beaucoup de passe-temps qui m’ont permis de côtoyer des gens de différents horizons qui gagnaient tous entre 25-30 k£ par an », relève pour sa part Erika Shapiro.
Mais il existe une pression encore plus forte qui prend ses racines dans l’enfance des banquiers. Nell Montgomery indique qu’ils sont nombreux à se plaindre d’avoir été délaissés par leurs parents, ce qui les a rendu excessivement compétitifs et ostentatoires. « Quand vous n’avez pas confiance en vous, vous pouvez trouver refuge dans une sorte de grandeur dans laquelle vous vous dites ‘au moins je gagne beaucoup et je vais dans ce genre d’endroits très chers’, note Nell Montgomery, avant de conclure : Seule une “thérapie intense” peut les aider »
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